Coup d’œil sur le travail de demain

Les pessimistes et les optimistes s’affrontent dans les médias au sujet de l’impact des nouvelles technologies sur le travail. Et vous, dans quel camp vous situez-vous  ?

Dans le camp des « réalistes ». Toute cette polarisation autour de l’impact des nouvelles technologies n’est pas nécessaire. On entend parler d’emplois ennuyeux – autant dire de l’esclavage moderne – qui disparaîtront grâce aux machines. C’est fantastique, mais il y a aussi une contrepartie. Dans le domaine des revenus, de la position sociale et surtout du but que l’on donne à sa vie. Que vont faire les gens de leur vie s’ils ne doivent presque plus travailler ? Et tous ces gens, mères et pères avec enfants, vont-ils soudain devoir se contenter d’un revenu de base ?

Y aura-t-il des gagnants et des perdants ?

Si l’on parle de gagnants et de perdants, c’est que la partie est finie. Nous vivons dans un contexte où un travailleur accomplit un travail et reçoit, en échange, une rémunération qui lui permet de consommer. Cette consommation crée de nouveaux emplois pour pouvoir fabriquer plus de choses qui, à leur tour, pourront être vendues, et ainsi de suite. Je crois que ce contexte va se modifier progressivement. Je vois plutôt cela comme une évolution.

Une enquête intéressante consisterait à interroger les syndicats sur ce qu’ils préfèrent : recevoir des commandes à domicile ou se retrouver coincés dans les embouteillages pour aller au magasin faire leurs courses. Ces livraisons à domicile, qui nous apportent un certain confort, ne sont possibles que grâce au travail de nuit et aux emplois flexibles. Si c’est ce que le consommateur souhaite, nous devons adapter le contexte à ce choix. Dans ce domaine, la Belgique est à la traîne en Europe. Regardez l’Allemagne avec Zalando et les Pays-Bas avec Coolblue par exemple.

Les entreprises belges ont-elles raté le coche ?

C’est bien sûr un instantané de la situation actuelle et les entreprises ont encore toutes leurs chances, mais le temps presse. Il y a encore du potentiel pour les acteurs locaux dans ce nouveau contexte. À l’exception de quelques secteurs comme la publicité numérique, car dans ce domaine, la partie est déjà jouée avec Facebook et Google qui se partagent le gâteau au niveau mondial.

Dans le commerce de détail, la situation est grave, mais pas désespérée. Il y a peu, j’ai donné un atelier chez Comeos pour les « captains of retail » en Belgique. Ces personnes comprennent très bien ce qui se passe, mais, en raison de la législation belge qui protège surtout les commerçants locaux, elles ne peuvent pas continuer à innover. Les règles autour du travail dominical et des emplois flexibles sont un héritage du passé. Et que penser de l’inspection sociale qui peut débouler à tout moment et contrôler les horaires, car tout le monde doit travailler de 9 à 5…? Un employeur risque même une condamnation correctionnelle !

Le passé n’est plus, n’en déplaise à certains ?

Plusieurs acquis sur le marché du travail n’ont plus leur raison d’être aujourd’hui. Regardez le glissement qui s’opère autour de tout ce qui tend au « droit à… ». Le droit au travail, au repos dominical, aux horaires fixes…

Prenez Carrefour en Belgique. On dirait que les entreprises qui font des bénéfices n’ont pas le droit de mener des restructurations. Mais si on interdit aux entreprises de s’adapter à la réalité, autant appeler à la disparition de ces entreprises. Le secteur du commerce de détail est en pleine crise aujourd’hui. Les anciens modèles avec une semaine de travail de 38 heures sont morts dans ce secteur et, avec les nouveaux modèles, le maintien de l’emploi pour tous n’est pas un scénario réaliste.

N’insiste-t-on pas trop sur le changement ? Les choses sont généralement plus progressives qu’on ne le pense.

Il faut effectivement être vigilant, car un changement trop rapide constitue bien sûr un risque. Il faut penser aux conséquences à moyen terme. Les conséquences à 10 ou 20 ans sont souvent encore imprévisibles. Je ne crois pas, par exemple, que l’intelligence artificielle va nous dévorer, comme le prédit Elon Musk.

Les choses varient beaucoup d’un secteur à l’autre. Dans le secteur du commerce de détail, les investissements sont encore très importants, ce qui constitue un énorme obstacle au lancement. Dans le secteur créatif en revanche, il y a des possibilités. C’est le cas par exemple de la conception des formats télévisuels. De petits acteurs belges peuvent encore faire un tabac dans ce secteur.

L’innovation entraîne la perte de nombreux emplois – un robot coûte aujourd’hui en moyenne 1/3 de ce que coûte une personne. Serons-nous donc tous au chômage d’ici 2030 ?

Là encore, mon point de vue est celui d’un réaliste. Il faut faire face à la situation, car je ne crois pas que les problèmes se résolvent tout seuls. Dans le domaine du commerce de détail et des finances, la collaboration entre l’homme et la machine existe déjà en partie.

Chez Duval Union Consulting, nous travaillons avec des modèles qui prédisent que dans X années, tant de magasins disparaîtront et que les magasins qui persisteront devront assurer une autre fonction. Beaucoup passeront à la vente en ligne. Tout l’art consiste à prévoir quelle technologie dominera. Les emplois de réapprovisionnement des rayons et les postes de caissiers disparaîtront. Les magasins Delhaize deviendront des showrooms ou des centres de dégustation. Nous sommes donc en mesure de prédire dès aujourd’hui les nouveaux modèles commerciaux et de répertorier les nouvelles compétences qui seront nécessaires.

Quelles sont les compétences du futur ?

Le problème, c’est que l’enseignement n’est pas adapté. Il est totalement idiot d’enseigner un métier à un jeune aujourd’hui. La passion, l’entrepreneuriat, la résolution de problèmes et la créativité, voilà les compétences qui importent. Avec un enseignement dépassé, on risque de laisser un grand groupe de jeunes sur le bord de la route, parce qu’ils ne sont pas formés pour le monde de demain.

Heureusement, de nombreux emplois continueront à être occupés par des personnes. Celui d’architecte par exemple. L’intelligence artificielle peut parfaitement dessiner une maison pour une famille de quatre personnes sur la base de milliers de plans précédents. Cependant, la créativité sera nécessaire pour adapter le plan créé par l’ordinateur en fonction des rêves et des souhaits de chaque famille.

Croyez-vous, comme Klaus Schwab, le fondateur du Forum économique mondial, que nous sommes déjà en train de vivre la quatrième révolution industrielle, qu’il appelle « le deuxième âge de la machine » ?

Ce sont des vagues, pas des lignes droites, mais la transition vers la quatrième révolution industrielle est universelle, quel que soit le secteur, tant dans le B2B que dans le B2C. Le temps presse de plus en plus et la situation varie d’un secteur à l’autre. Pensez à ce qui va se passer dans le secteur des voyages avec les billets d’avion. La réservation d’un ticket va totalement disparaître. Dans les transports en commun aussi, le ticket pour chaque moyen de transport disparaîtra et nous passerons à un système de paiement variable. Tout cela évolue donc vers une sorte de modèle Uber, mais cela prendra peut-être encore 10 ans. Le nouveau concept Amazon Go est un robot avec lequel on peut se promener. Tout est automatisé et mesuré dans les moindres détails.

L’emploi va changer. C’est pourquoi des personnes comme Bill Gates préconisent de taxer l’automatisation, car tout va trop vite. Le fossé entre les innovations technologiques et la réalité ne doit pas être trop grand.

Nous évoluons également vers une « économie du passager » qui nous donnera 2 à 4 heures de temps libre supplémentaire par jour grâce, notamment, aux voitures autonomes. Le défi sera surtout de créer de la valeur avec le temps libéré.

Quel est votre conseil : innover soi-même en tant qu’entreprise ou investir dans de jeunes pousses innovantes qui pourront intervenir plus vite que la société mère ?

Chez Duval Union Consulting, nous utilisons une métaphore simple : nous considérons une entreprise classique comme un cuirassé. Il est lourd, polluant, il fonctionne au charbon, mais il possède un bon capitaine et un équipage professionnel. Quand on veut innover et fonctionner de manière plus flexible, on a plusieurs choix. Le navire est vieux, mais il a encore beaucoup de valeur – en termes de capital humain par exemple. Au lieu de le laisser couler, on peut commencer par fonder une cellule d’innovation. Une sorte de laboratoire technologique sur une île tropicale. Tout est fantastique là-bas, mais cela n’exerce aucune influence sur le cuirassé. Un deuxième scénario consiste à acheter un hors-bord. Mais il navigue dans toutes les directions et ne peut pas remorquer le cuirassé. La solution est donc une flotte de hors-bord qui naviguent tous dans la même direction. Certains bateaux couleront ou arriveront plus vite que d’autres, mais à la fin, ils pourront modifier de manière positive la trajectoire du cuirassé.

Quelles entreprises illustrent bien la façon d’affronter la quatrième révolution industrielle ?

Le groupe Chalhoub au Moyen-Orient est un bon exemple dans le domaine du commerce de détail. C’est un leader de marché sur le segment du luxe depuis les années 50. Ils reconnaissent que les concepts de magasins sont menacés. Ils mettent en pratique notre modèle de la flotte pour s’adapter à la nouvelle réalité.

Plus près de chez nous, les chaussures Torfs constituent un bon modèle. L’entreprise dispose d’une organisation horizontale et d’une culture de l’optimisme. C’est une PME qui a réussi à se montrer innovante avec des moyens limités. Dans un autre secteur, nous constatons que UNILIN – connue pour sa marque Quick-Step – procède rapidement à des innovations. Ils réorganisent leurs équipes et appliquent l’appropriation transversale dans leurs projets clés.

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