Comment assurer la transition à un marché du travail plus durable dans ce monde en mutation rapide ?

Filip Tilleman, spécialiste du droit du travail, a invité Fons Leroy, spécialiste du marché du travail, pour une discussion passionnante sur la nécessité d’une politique durable du marché du travail dans notre monde en rapide évolution. Car, selon l’ancien dirigeant du VDAB, c’est une nécessité – surtout au beau milieu de la crise du coronavirus. L’entretien nous emmène du recrutement jusqu’à la fin du contrat de travail en égrainant toute la carrière et aborde également certaines facettes du droit du travail. Le dernier livre de Leroy, « Un vaccin pour le marché du travail », est une source d’inspiration pour cette question fascinante.

La crise du Covid-19 met clairement en exergue les problèmes sur le marché du travail.

Lorsqu’on lui demande s’il est optimiste ou pessimiste au sujet de la crise du coronavirus, la réponse est très claire : Fons Leroy fait confiance aux personnes et aux entreprises pour trouver des solutions aux problèmes qui se posent. Toutefois, il est également préoccupé, mais essentiellement par le cadre politique établi par les autorités et les partenaires sociaux. Leroy estime qu’une vision à long terme et des initiatives durables faisant évoluer le marché du travail dans la bonne direction, font souvent défaut. « Tout est encore très axé sur la sécurité de l’emploi, alors que nous devrions nous concentrer sur la sécurité de la carrière », dit-il. En d’autres termes : comment passer d’un emploi à un autre sans être au chômage ? Selon M. Leroy, le plus grand défi consiste à adapter les systèmes existants – tels que la sécurité sociale et le droit du travail – afin de parvenir à une « assurance carrière » globale. Cette assurance carrière couvre tant les souhaits (suivre une formation, bien-être au travail, équilibre entre vie professionnelle et vie privée, etc.) que les charges (chômage, maladie, inactivité, etc.).

« L’État-providence a bien fonctionné pendant 60 ans, mais entre-temps, le monde a radicalement changé et les recettes de l’époque ne fonctionnent plus aujourd’hui ». (Fons Leroy)

Se débarrasser des dogmes du passé

Filip Tilleman rejoint Fons Leroy. Il pense que nous devrions nous débarrasser des dogmes du passé et choisir des solutions objectivement meilleures et plus logiques. Tilleman cite l’exemple du temps de travail : « le dogme veut que le travail soit interdit le dimanche, alors que, aujourd’hui, de nombreuses personnes souhaitent travailler le dimanche, et ce, pour des raisons diverses. » Selon M. Tilleman, il serait préférable de laisser une plus grande marge de manœuvre aux entreprises et aux travailleurs afin qu’ils s’organisent en la matière. Il se souvient d’un dossier dans lequel une entreprise devait rester fermée le dimanche, alors que seuls 300 mètres la séparaient d’une zone touristique où le travail était autorisé le dimanche. « Comment pouvez-vous expliquer objectivement cette différence de 300 mètres ? » se demande-t-il à voix haute. Tilleman est frappé par la fréquence à laquelle il est confronté à la problématique du temps de travail dans ses dossiers, alors que les entreprises devraient pouvoir l’organiser. « En notre qualité d’avocats spécialisés dans le droit du travail, nous sommes conscients des nombreux pièges et règles contradictoires afférents au temps de travail ou au travail de nuit ; alors que cette question devrait être parfaitement claire pour tout le monde sur le lieu de travail. Malheureusement, le danger est toujours présent, car si, au bout de dix ans, il s’avère qu’une réglementation sur le temps de travail n’était pas réglementaire, vous pouvez alors, en votre qualité d’employeur, être condamné à payer toutes ces années avec effet rétroactif. » 

Le bien-être au travail est sous pression

Fons Leroy tire les enseignements de la transition importante vers le télétravail en raison de la pandémie de Covid-19, car cela appelle une réflexion différente sur la relation entre le temps de travail et les loisirs. « Nous devons également accorder plus d’autonomie et proposer plus de choix aux entreprises et aux travailleurs. » Leroy fait référence à des études démontrant qu’un travailleur sur deux est aujourd’hui confronté à des aspects d’inaptitude au travail pour des motifs de santé mentale et physique : stress, épuisement professionnel, pression au travail, formation insuffisante, absence de perspectives professionnelles, etc. Les secteurs de la santé, du bien-être, de l’alimentation et de la logistique, qui ont dû tourner à plein régime pendant la crise du Covid-19, sont les plus touchés. Leroy estime que le thème du bien-être au travail a longtemps été le parent pauvre du droit social et du droit du travail. Conserver la viabilité des emplois est également un tout nouveau défi pour les services des ressources humaines et les acteurs du marché du travail. « Toutes les recherches démontrent qu’une plus grande liberté induit un bien-être plus intense et réduit l’insatisfaction au travail. Cela s’oppose aux contrôles que certaines entreprises infligent aux télétravailleurs en leur téléphonant régulièrement ou par la vérification excessive du temps passé en ligne, par exemple. Selon Leroy, ces pratiques appartiennent au passé, quand on essayait de tout réglementer via des règles théoriques.

« Les collaborateurs sont prisonniers des cases que nous avons créées. » (Fons Leroy)

La face cachée de la liberté : le problème de l’absentéisme

Filip Tilleman admet qu’une plus grande liberté de choix pour les employeurs et les employés est une bonne idée. Selon Tilleman, l’absentéisme est actuellement un sujet sensible. Le problème est qu’une petite minorité abuse de la maladie et pourrait nuire à la grande majorité, qui utilise certaines libertés de manière responsable pour organiser son travail. Tilleman fait la comparaison avec les hooligans dans un stade de football : « une petite minorité fait plus de bruit que 90% des supporters qui se comportent bien. » Il plaide pour plus d’autonomie, mais des sanctions sévères pour ceux qui abusent des libertés. Selon lui, cela relève non seulement de la responsabilité de l’employeur ou du droit du travail, mais surtout du cadre médical. Tilleman ajoute : « Tout le monde connaît un médecin qui distribue des certificats à l’envi. » 

Fons Leroy réplique en faisant référence au livre de Rutger Bregman « De meeste mensen deugen ». Leroy connaît bien le débat sur les profiteurs au VDAB, à l’époque. Il pense que le problème n’est pas aussi grave que ce que l’on craignait, mais le noyau dur existe. « Toutefois, vous ne pouvez pas formuler une politique basée sur l’abus et le contrôle, mais sur une approche de responsabilisation de chacun. En qualité de médiateur du marché du travail, seuls les candidats désireux d’accepter un emploi vous sont profitables. Je pense que nous devrions aider les gens à trouver l’emploi de leur rêve. Toutefois, s’ils ne saisissent pas ces opportunités, vous devez naturellement pouvoir agir de manière décisive. »

Sécurité de la carrière dès le recrutement

Fons Leroy pense que les médiateurs pour l’emploi peuvent toujours davantage proposer des emplois sur mesure, notamment grâce à l’intelligence artificielle. « Nous pourrons travailler de manière très ciblée, mais nous pourrons également intervenir de manière énergique, si nécessaire. »

« Au salon de l’emploi du futur, le collaborateur sera assis à table et les entreprises viendront se présenter. » (Fons Leroy)

Leroy considère que le « recrutement en miroir » est un des défis à relever. « Cela consiste à recruter en permanence des collaborateurs présentant le même profil, ce qui confère une grande homogénéité aux entreprises. Alors qu’il convient d’explorer le monde extérieur et tendra vers le « recrutement par la fenêtre » », dit Leroy. « Selon le spécialiste du marché du travail, un plus grand nombre d’origines, de cultures, de couleurs, de générations différentes et donc, une plus grande diversité, sont nécessaires dans nos entreprises. La question est de savoir comment créer des entreprises plus inclusives, où les différences généreront une valeur ajoutée. » Leroy fait référence à une étude économique de Harvard qui a cartographié les mille entreprises américaines les plus performantes. Elle a démontré que ces entreprises présentent deux caractéristiques communes : elles excellent dans l’innovation et prônent une main-d’œuvre diversifiée. « L’idée est que votre entreprise soit le reflet des consommateurs et que cela génère automatiquement de l’innovation et de la personnalisation au sein d’une entreprise. Toutefois, notre pays figure en réalité parmi les pires élèves en Europe en termes de diversité des collaborateurs issus de l’immigration, mais également en termes de maintien des plus de soixante ans au travail. Dès lors, nous perdons énormément de talents alors que nous en aurons besoin à l’avenir. » Leroy est convaincu que nous pouvons conclure et faciliter des accords d’inclusion au niveau méso sans perdre de vue que chaque entreprise est différente. Selon Leroy, le secteur alimentaire a déjà pris des mesures importantes dans ce sens, par exemple par le biais d’un gestionnaire de la diversité, car ce secteur souffre d’une grave pénurie de main-d’œuvre. Leroy estime que beaucoup reste à faire en termes d’entreprises inclusives.

Pour Tilleman, le principe de la diversité dans le recrutement est clair : « mettre la bonne personne au bon endroit, quels que soient les antécédents, le sexe, la couleur ou l’âge du candidat. C’est du pur bon sens. »   

Les défis au cours de la carrière

Fons Leroy est un partisan du modèle finlandais, qui préconise une politique holistique des ressources humaines par le biais de « The house of Workability », à savoir la « La maison de la faisabilité ». Selon Leroy, Johnson & Johnson et Janssen Pharmaceutica l’ont déjà appliquée avec succès. Ce modèle est synonyme d’une correspondance permanente entre l’entreprise et le collaborateur. « Il s’agit d’une adéquation entre les compétences que vous pouvez acquérir par la formation, mais également entre les normes et les valeurs. Si les normes et les valeurs du collaborateur et de l’entreprise sont également en accord, les probabilités d’une relation de travail durable sont plus grandes que dans le cas d’une inadéquation ou un décalage. »

Au cours de ces dernières années, Fons Leroy a remarqué que les entreprises ont également investi dans une alimentation saine et une bonne condition physique. C’est une nouvelle information pour une politique de RH. Les collaborateurs doivent travailler plus longtemps, mais ils doivent également être suffisamment en forme pour ce faire. Dès lors, le fait d’être en accord avec des valeurs et des normes, d’acquérir de nouvelles compétences et de jouir d’un bien-être mental et physique, alimente une relation de travail durable. Selon Leroy, l’adéquation avec les valeurs et les normes sera d’autant plus importante quand le marché du travail reprendra sous peu. Dans la prochaine « guerre des talents », un collaborateur qui n’adhérera pas aux valeurs et normes d’une entreprise privilégiera un autre employeur, qui proposera des valeurs et normes qui lui conviennent mieux.

« Au cours de la prochaine décennie, le marché du travail enregistrera 8 entrées pour 10 sorties. » (Fons Leroy)

En ce qui concerne les carrières, on constate le phénomène des ISP (indépendants sans personnel) chez nos voisins du Nord. « Plus d’un million d’entre eux y travaillent en qualité d’indépendants », explique Leroy. « Et pourtant, il semble que les Pays-Bas veuillent également limiter ces statuts. Ils souhaitent trois statuts : le travailleur qui recherche une relation de travail durable, le travailleur intérimaire pour des solutions spécifiques, et les indépendants et entrepreneurs. L’objectif poursuivi consiste à générer une plus grande coopération entre ces différents statuts. » Leroy cite l’exemple du chômage économique imposé dans le cadre de la crise de Covid-19. Dans le cadre de ce régime, les personnes actives perçoivent des indemnités, les indépendants reçoivent des primes de relance et les chômeurs bénéficient d’une autre indemnité, qui proviennent toutes de la même source et qui poursuivent le même objectif : (re)mettre les personnes ou leur permettre d’entreprendre. » Leroy plaide donc en faveur d’une plus grande harmonisation entre les différents statuts. « Ainsi, les indépendants peuvent également proposer des possibilités de formation et de carrière, comme cela est prévu pour les travailleurs. Leroy ajoute que de nombreux ISP et travailleurs indépendants ont connu une période de vaches maigres pendant la pandémie du coronavirus. » « Chacun devrait pouvoir bénéficier d’une évolution de carrière, d’une formation, d’un apprentissage, etc. quel que soit son statut. Le système d’autonomisation et de formation devrait donc également être ouvert au statut d’indépendant », estime Leroy. 

Tilleman prévoit un bouleversement majeur du statut d’indépendant : « Par le passé, l’employeur imposait – parfois catégoriquement – aux travailleurs de travailler pour la société en qualité d’indépendant ; aujourd’hui, le choix de s’installer comme indépendant est presque toujours volontaire dans le chef de la personne qui souhaite proposer ses services ». Il estime que la possibilité d’opter pour un statut indépendant doit certainement être conservée, pour autant qu’elle soit appliquée de manière cohérente. Tilleman estime qu’il convient de punir avec fermeté les faux indépendants. Dans la pratique, il constate un réel besoin d’entrer sur le marché en qualité d’indépendant. En la matière également, il estime que la présence de profiteurs qui abusent du statut ne justifie pas une révision de l’ensemble du système. 

Leroy admet que le statut de travailleur indépendant ne doit pas disparaître, mais il formule un commentaire en sa qualité de spécialiste du marché du travail. « Les jeunes diplômés sont aujourd’hui formés à l’entrepreneuriat. L’esprit d’entreprise prime alors, mais nous avons besoin non seulement de nombreux entrepreneurs, mais également, et surtout, de nombreux travailleurs entreprenants », déclare Leroy. « En fin de compte, il s’agit de prendre sa carrière en mains, quel que soit le statut privilégié. »

L’exclusion numérique est un autre problème sur lequel Leroy se concentre, car il estime qu’il s’agit d’un défi majeur – en particulier pour les personnes peu qualifiées. « Cette exclusion numérique a été particulièrement ressentie par les personnes peu qualifiées durant de la crise de Covid-19 », déclare Leroy. « Les personnes à faibles revenus ou les familles à revenu unique souffrent souvent d’un retard numérique ». De plus, Leroy s’engage également en faveur des personnes handicapées sur le marché du travail. Il se concentre sur les possibilités que les technologies peuvent offrir pour combler le fossé entre les personnes handicapées et le marché du travail. Leroy est également optimiste en la matière et voit le potentiel de la numérisation pour éliminer quelques pierres d’achoppement sur le marché du travail.

« En tant que passionné de cyclisme, j’aime grimper des cols que je peux gravir, mais sur le marché du travail, je distingue encore beaucoup de cols que les gens ne peuvent gravir ». (Fons Leroy)

Leroy cite une étude de l’OCDE démontrant que 82% des actifs flamands ne reconnaissent pas l’utilité de la formation continue. C’est apparemment le pourcentage le plus élevé de tous les pays de l’OCDE. Ce faisant, il illustre le fait qu’il n’existe pas de véritable culture de l’apprentissage en Flandre. « Cette culture de l’apprentissage doit voir le jour, et elle ne peut se concrétiser que si les gens sont également animés par le désir d’apprendre », déclare Leroy. Cela commence déjà par l’enseignement, qui, selon lui, est trop isolé de la société. L’enseignement devrait se concentrer davantage sur le double apprentissage et être ainsi en contact avec la réalité de la société. « Nous devons rendre les gens plus flexibles et plus résilients”, déclare Leroy. D’un point de vue pédagogique, il est selon lui relativement facile d’enseigner les compétences du XXIe siècle par le biais du programme éducatif normal, mais il convient alors d’utiliser une méthodologie différente. Limiter l’apprentissage individuel et favoriser l’apprentissage en groupe, par exemple. Selon Leroy, il ne s’agit pas de nouveautés révolutionnaires. « En ma qualité de membre de la plate-forme STEM, je plaide pour l’apprentissage du « computational thinking » comme compétence dans notre enseignement, car le numérique est la nouvelle langue maternelle », déclare Leroy. Il cite l’exemple d’un opérateur, car cette profession doit elle aussi posséder une certaine connaissance du fonctionnement des systèmes robotiques et de la cobotisation. « Tout le monde devrait aussi avoir une connaissance de base du fonctionnement des algorithmes, car ils se généraliseront dans l’intelligence artificielle », poursuit Leroy. Malheureusement, il constate que les organismes de coordination de l’enseignement doutent encore énormément de la nécessité d’acquérir des compétences. D’ailleurs, Leroy n’estime pas que nous soyons trop exigeants avec les jeunes, mais que nous devrions développer notre système éducatif de manière à ce que les jeunes acquièrent ces compétences de manière naturelle, dans le cadre du programme d’enseignement régulier. 

Une autre fin du contrat de travail

Fons Leroy admet qu’il doit parfois provoquer pour être entendu. Il a un jour songé à créer la notion de « droit de remise au travail » comme l’antithèse du « droit de licenciement ». Selon Leroy, nous ne pouvons garantir notre prospérité et notre bien-être à long terme que si nous donnons à chaque talent une place sur le marché du travail. Dès lors, il convient d’inciter un plus grand nombre à travailler avec envie et à travailler plus longtemps avec envie. Selon Leroy, l’investissement substantiel dans les licenciements s’assimile à une perte d’énergie, que nous pourrions plutôt consacrer à remettre immédiatement ce talent au travail ailleurs. Dans les secteurs et les professions en perte de vitesse, cela signifie qu’il convient de former les gens à opter pour un secteur ou une profession en plein essor. 

L’existence de deux statuts distincts dérange particulièrement Leroy : celui des actifs et celui des chômeurs. Chaque statut possède son propre cadre avec ses propres mesures. Selon Leroy, tout le monde est potentiellement à la recherche d’un emploi et donc, toujours en transition. Il cite l’exemple des demandeurs d’emploi hautement qualifiés, qui sont soudainement remis en question après une restructuration et qui ne bénéficient pas d’un accompagnement professionnel tel que celui proposé aux actifs. « Toutefois, il s’agit souvent de l’outil approprié pour reprendre rapidement le travail », explique Leroy. « Ils se présentent ensuite au VDAB, qui est plus spécialisé dans l’accompagnement des personnes peu et moyennement qualifiées ». Leroy cite un autre exemple, à savoir celui des bureaux d’outplacement qui, selon lui, n’offrent pratiquement aucune formation aux collaborateurs, car elle n’est pas incluse dans les coûts d’outplacement. « Vous devez d’abord être chômeur avant de pouvoir bénéficier d’une formation gratuite du VDAB. Il en résulte une perte de six à neuf mois s’accompagnant d’une perte de motivation, de connaissances, etc., avant de pouvoir remettre les gens sur le marché du travail. Ces structures sont donc trop peu transitionnelles et encore trop axées sur les anciens systèmes ».

Filip Tilleman souhaite savoir si Fons Leroy préconise la suppression de l’indemnité de rupture, afin de consacrer cet argent à la formation, par exemple. Dans sa réponse, Leroy fait référence au modèle autrichien, dans lequel chacun bénéficie d’un compte de carrière, qui est alimenté par la contribution propre de l’employé, une contribution de l’employeur, et éventuellement du secteur, et des autorités pour ce qui concerne les personnes vulnérables. « Ce compte permet de financer une formation pour la réintégration dans le cas d’une transition. Vous créez donc un compte pour la réintégration et non pour les revenus », explique M. Leroy. Il comprend qu’une compensation sera toujours nécessaire pour la perte de revenus, mais l’accent est aujourd’hui uniquement mis sur l’indemnité à la fin du contrat et pas du tout sur la réintégration rapide sur le marché du travail. 

Filip convient qu’il serait effectivement préférable de déjà penser au futur pendant la carrière et de ne pas attendre la fin du voyage pour économiser le budget nécessaire à la réintégration.

Fons Leroy se souvient de débats menés voici bien longtemps dans un tribunal sur l’indemnisation des ingénieurs licenciés, alors que ces ingénieurs avaient déjà retrouvé du travail le lendemain. « Ces ingénieurs n’ont pas demandé d’indemnités de licenciement, mais ils souhaitaient retravailler le plus rapidement possible », précise Leroy. « Pourquoi nous concentrons-nous autant sur les indemnités de licenciement alors que des personnes exerçant des professions-clés peuvent retravailler immédiatement ? »

Tilleman le constate également dans son cabinet d’avocats : « tout se cristallise sur le jour du licenciement et sur l’indemnité – même si la personne a déjà retrouvé un emploi le lendemain ». 

En Flandre, Fons Leroy est ambassadeur des objectifs de durabilité des Nations Unies. « Les entreprises vont devoir investir dans la durabilité à tous les niveaux », dit-il. « Elles devront intégrer une stratégie de durabilité si elles souhaitent toujours répondre à l’avenir à des appels d’offres publics ou recevoir des subventions gouvernementales. En fin de compte, les entreprises commencent à réfléchir à la manière dont elles peuvent faire la différence, non seulement sur le plan économique, mais également sur le plan social ». Leroy considère qu’il s’agit d’une tendance que nous devrions particulièrement encourager, vu les développements écologiques qu’il anticipe. 

La sécurité comme recette pour le nouveau monde du travail

« Le monde exige que les gens soient beaucoup plus flexibles », déclare Leroy. « Dès lors, je souhaite augmenter cette flexibilité dans les compétences du XXIe siècle, mais, simultanément, je souhaite axer les systèmes qui s’y rattachent sur de nouvelles certitudes. Cette assurance de carrière sert ensuite pour ces situations incertaines et pour construire des tremplins, c’est de la securibility », explique Leroy. Il est essentiel de savoir que vous pouvez compter sur cette sécurité lorsque vous perdez votre emploi. Que vos revenus, votre carrière, vos études, etc. demeurent assurés et que vous pouvez retravailler le plus rapidement possible et trouver un nouvel emploi. 

Leroy observe que le monde politique s’en remet actuellement beaucoup aux experts dans le contexte de la pandémie de Covid-19. Selon lui, le marché du travail bénéficierait également d’un conseil scientifique, qui examinerait alors à long terme la manière dont nous pouvons faire face aux changements qui s’annoncent. Leroy et Tilleman concluent que cette vision finira par s’infiltrer dans le droit social et le droit du travail. 

« Je ne veux pas de flexicurity, mais de la securibility. » (Fons Leroy)


Fons Leroy a occupé le poste d’administrateur délégué du VDAB entre 2005 et 2019. Il est titulaire d’une licence en droit et en criminologie avec une licence spéciale en sciences administratives et en gestion publique. Depuis le 1er juillet 2019, sa carrière a pris une nouvelle orientation dénommée « retraite ». Il donne aujourd’hui des conférences sur la GRH et la politique du marché du travail, il supervise les services publics de médiation au niveau stratégique, il est évaluateur pour l’European Network of Public Employment Services et il est le président de la Maison des métiers, de la Table ronde sur l’aide à l’emploi et du Fonds Rode Neuzen. Dans son dernier livre « Un vaccin pour le marché du travail », Fons Leroy propose une cure de vaccination pour concevoir et créer un monde du travail meilleur. 

Site Internet :  www.fonsleroy.be 

(Pour votre information : par marché du travail transitionnel, on entend les transitions de travail à travail, la mobilité d’emploi à emploi, le passage de salarié à indépendant ou inversement, de travail temporaire à emploi fixe ou inversement, de plus à moins d’heures de travail ou inversement).

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